Labeur

Lu : François Kollar, un ouvrier du regard, collectif publié aux Éditions de la Martinière en 2016 (catalogue de l’exposition présentée au Jeu de Paume).

Qui ne rêve pas de faire équipe avec une fille à l’intelligence vive, au sourire complice, au regard singulier sur son art et sur le monde, et de parcourir ensemble ce dernier ? Qui ne rêve pas de rentrer dans ce loft surplombant la ville puis de repartir au « chalet » en longeant le fleuve au volant d’un rutilant bolide ?

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Photo (recadrée) : clôture de chantier du projet Le Palais des Possibles, Montréal, 2018, L. Godbout.

Sous des formes diverses, le mirage de la vie facile scintille plus que jamais, gommant le dur labeur pourtant incontournable. Dans ce contexte, les photographies de François Kollar (1904-1979), contemporain de Kertész, Krull et Lotar, semblent d’autant plus décalées.

En 1931, au moment où la France « impériale est au sommet de sa puissance » (p. 17), Kollar obtient l’une des commandes les plus prestigieuses de l’époque. En vue d’illustrer une série de fascicules intitulés : « La France travaille », publiés de 1932 à 1934 aux éditions Horizons de France, il sillonne une vingtaine de régions pour y documenter l’activité artisanale, agricole et industrielle.

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Photo : Le rail. Fils et isolateurs. Chemin de fer de l’État, Versailles (Yvelines), 1931-1934, François Kollar, p. 106.

Le projet éditorial est politique, certes, mêlant nostalgie et modernité, une vision de l’homme d’abord considéré comme force de travail au service de la nation en même temps qu’un enthousiasme économique décuplé par l’organisation scientifique des chaînes de montage. Au-delà de ce paternalisme qui vise également à faire connaître les colonies, cet exercice forme cependant, deux mille clichés plus tard, un véritable « relevé des lieux de travail, ainsi que de l’organisation dans l’espace des ateliers, de la production mécanisée, des machines elles-mêmes et des personnes » (p. 13). Plus encore, les images de Kollar saisissent ce moment charnière où l’humain est encore au coeur du monde industriel, malgré la mécanisation grandissante venue pallier la pénurie de main-d’oeuvre créée par la Première Guerre mondiale.

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Photo : Aviation. Construction d’un flotteur d’hydravion, La Ciotat (Bouches-du-Rhône), 1931, François Kollar, p. 97.
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Photo : Tisserands et filateurs. Canuts. Tapisseries. Repassage des mouchoirs à la main, Entreprise George et Fernand Herbin, Cambrai (Nord), 1931, François Kollar, p. 121.
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Photo : Métiers du fer. Montage d’un compresseur, Société Tosi-Dujardin, Lille (Nord), 1931-1934, François Kollar, p. 101.

Mais comme il faut bien vivre, Kollar met également sa parfaite maîtrise du cadrage et de la lumière au service de ceux qui restent bien calés dans leur fauteuil, loin de la suie, du souffle brûlant et assourdissant des machines, de tous ces gestes répétés à l’infini.

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Photo : Mme Shiaparelli, place Vendôme, 1932, François Kollar, p. 82.

Paradoxalement, en rendant hommage aux gestes de chaque artisan, paysan et ouvrier, les photographies de Kollar perdent un peu de vue la force du groupe, l’énergie combinée de ces milliers de déplacés venus des quatre coins de l’Europe et qui descendent dans les mines de l’Hexagone. Comme ici aujourd’hui où le travailleur est souvent réduit à sa performance individuelle, avec tous les épuisements professionnels que l’on sait. Pourtant, la combinaison d’un travail passionnant et d’une équipe du tonnerre peut déplacer les montagnes… et donner l’impression d’être au chalet en bonne compagnie !

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Photo : Aime ton travai!, Québec, sans date, L. Godbout.