Lu : Architecture 3.0: The Disruptive Design Practice Handbook par Cliff Moser publié en 2014 chez Routledge; le Livre blanc pour une politique québécoise de l’architecture lancé par l’Ordre des architectes du Québec en mars 2018; The Future of Practice, un panorama publié dans le Architectural Record de juin 2018; et Concours récents, un bilan paru dans la revue ARQ (Architecture & design Québec) en septembre 2018.
Avant la crise financière de 2008, les États-Unis comptaient près de 100 000 architectes. Trois ans plus tard, ils n’étaient plus que 75 0000 (à titre de comparaison, il y avait un peu plus de 15 000 architectes au Canada en 2011). Devant une telle hécatombe, rien ne sera plus jamais pareil et, selon Moser, tout doit changer.

Moser fait ainsi de la perturbation un impératif, comme un commando créant le chaos pour mieux se frayer un chemin vers sa cible. Étonnamment cependant, il propose le retranchement de l’architecte dans le « design solving ». Ce « pouvoir » mystérieux qui n’intéresse souvent que les architectes et qui est sans cesse miné, aux yeux du public, par les toits spectaculaires, mais impossibles à étancher… et par les petits aléas du quotidien.


Pas un mot au sujet de la façon dont on embauche les professionnels, alors qu’un projet de règlement permettant au ministère des Transports et à la Société québécoise des infrastructures (SQI) de procéder sur la base du plus bas soumissionnaire a failli entrer en vigueur ici cet été. Pas un mot au sujet la compétition féroce qui déchire les architectes, de l’écart qui se creuse entre ceux qui travaillent seuls dans leur sous-sol (quelque part entre la moitié et les deux tiers d’entre eux) et ceux qui sont engloutis au sein d’une poignée de firmes toujours plus gigantesques offrant tous les services sous un même toit. Surtout, pas un mot au sujet de la qualité de construction des bâtiments, alors que des voix suggèrent aux États-Unis que les architectes devraient être payés non plus en fonction du temps consacré à un projet, mais des : « outcomes of the building process itself, including the performance of the finished building » (Show Me the Money, Phil Bernstein). Responsabilité exposant vingt-deux.

Dans le Livre blanc pour une politique québécoise de l’architecture, l’Ordre des architectes du Québec indique bien qu’il : « est urgent de doter le Québec de lignes directrices claires pour favoriser la qualité des constructions que nous léguerons aux générations futures » (p. 5). Toutefois, il n’est plus question, dans les pages suivantes, que de qualité « architecturale » (comprendre : originalité du design) et, en filigrane, de concours pour promouvoir celle-ci.
Le dernier numéro de la revue ARQ jette cependant une ombre sur les concours. D’un côté, il y aurait les « bons vieux et seuls véritables » concours, ceux qui permettraient à de jeunes architectes inconnus d’atteindre sans escale le firmament, en faisant au moyen d’un concept spectaculaire une « prise de judo » aux membres du jury. De l’autre, les concours en deux étapes privilégiés ces jours-ci par les donneurs d’ouvrage, ceux qui ne permettent qu’aux bureaux bien établis et possédant déjà une solide expérience dans le type précis de projet dont le concours fait l’objet de franchir la présélection.

Bref, comment parler de qualité de construction lorsque les architectes ergotent encore sur la forme du tremplin qui serait le plus à même de propulser sous les projecteurs leur génie incompris ? Comment parler de la culture « économique et constructive » dans laquelle nous évoluons ? Et si c’était cette dernière qu’il fallait perturber (au sens de repenser) ?
Pendant ce temps sur le terrain, la Commission de la construction du Québec (CCQ) ouvre les vannes pour remplir les bassins de main-d’oeuvre actuellement presque à sec, et les écoles de métiers emboîtent le pas. Dans la précipitation toutefois, le recrutement forge les valeurs de l’industrie…

Alors qu’ailleurs, le ton est résolument différent.

Lorsque l’on construit vite pour que ce soit payant, le résultat est rarement beau, vert ou digne de constituer le patrimoine de demain. D’après le Livre blanc pour une politique québécoise de l’architecture, cette dernière est le : « Témoin de nos valeurs et de nos ambitions comme société, elle est une composante essentielle de notre identité culturelle » (p. 42). Sans qualité de construction, la qualité architecturale risque cependant d’être bien éphémère, comme un maquillage le temps des photos.
