Lu : Commonwealth d’Ann Patchett publié chez HarperCollins en 2016.
Dans le torrent de mots qui déferlent partout chaque jour, on souhaiterait que les as de la formule imagée, qu’elle soit coup de poing ou fleurie, soient plus nombreux.
Heureusement, il y Buck 65 qui dans un souffle rauque dessine un « skeleton on fire, ridin’ a motorcyle » (Blanc-Bec, album Secret House Against The World, 2005). Impossible de ne pas flairer le roussi ou de ne pas entendre la pétarade de l’unique cylindre.

Il y a Radio Radio qui délire sur le thème de la bouée, pour le pur délice sonore des mots valsant d’une langue à l’autre (buoy) :
« Dis-moi que ça flotte
Comme un boy o boy
Boy o boy o boy o boy
Check ça de l’eau qui bouille » (Boomerang, album Ej feel zoo, 2014).

Il y a Marina Lewycka qui sait broder des péripéties farfelues sans pour autant omettre la critique sociale : « Irina, the main people who have been robbing Ukraine are our fellow Ukrainians. (…] all of them billionaires. You know, when they closed coal mines in Donbas, there was European money to help miners, for new industries to replace the old. What happened? All money went into pockets of officials. New Ukrainian officials, not Russians. Mobilfonmen. Mines were sold, stripped of machinery, closed. No new industries replaced them. In desperation, miners went underground themselves to dig coal. Can you imagine in what conditions? » (Strawberry Fields, p. 255-256, Penguin Books, 2007)

Puis, dans un monde à part, tout au sommet du panthéon, il y a Nicolas Dickner et, surtout, Dominique Fortier, ciseleuse hors pair, tous les sens aux aguets : « Dans le bleu du ciel d’Outremont ce matin, des nuages blancs en ribambelle jouent à se faire passer pour des vagues, y réussissent un instant. […] Avec leur silhouette bossue bien nette se découpant sur l’horizon, les îles [de la Madeleine] ont des airs de dinosaures endormis ou de monstres pétrifiés – changés en statues de sel. […] le pied-de-vent ne désigne pas qu’un fromage (au demeurant délicieux) mais d’abord et surtout une trouée dans les nuages par où le soleil coule un rayon. Un bol de lumière où viennent s’abreuver les jours gris ces grandes créatures de pierre. » (Révolutions, p. 144, Alto, 2014)

Et voilà qu’arrive, de chez nos voisins du Sud, Ann Patchett avec un récit tout simplement époustouflant, des atmosphères riches campées en une ou deux petites phrases bien tassées, des personnages d’une profondeur insoupçonnée. Fabuleux !

Si seulement l’auteur Richard Blaimert avait pu insuffler ne serait-ce qu’une demi-fiole d’une finesse semblable dans les dialogues de la nouvelle série Hubert et Fanny, les acteurs, qui y excellent malgré tout dans certains silences remplis de magie, auraient pu briller encore davantage. Et nous transporter loin de relations un peu trop caricaturales.
