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Lu : Asmara : Africa’s Jewel of Modernity avec les photographies de Stefan Boness et un texte de Jochen Visscher, publié chez Jovis en 2016.

Après Tel-Aviv en 2012, Boness récidive quatre ans plus tard avec Asmara, une ville également inscrite sur la Liste du Patrimoine mondial de l’UNESCO. Dans le cas de la capitale érythréenne, cet ancien « avant-poste militaire de la puissance coloniale italienne » a été retenu en 2017 à titre de témoignage exceptionnel d’un urbanisme et d’une architecture modernistes appliqués, dans le second quart du 20e siècle, au contexte africain.

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Photo : sans titre, 2016, Stefan Boness, p. 64.

Contrairement aux ouvrages très fouillés des duos Arnaud Le Brusq et Léonard de Selva (Vietnam à travers l’architecture coloniale publié aux Éditions de l’Amateur en 1999), Marc Pabois et Bernard Toulier (Architecture coloniale et patrimoine : L’expérience française publié chez Somogy en 2005) ou Jean Doucet et Kamran Adle (Architectures modernistes en Martinique (1927-1968) publié chez Somogy en 2007), le tout petit recueil de photos de Boness et le court texte de Visscher pourraient sembler n’effleurer que la surface d’un sujet riche et grave. Cependant, ce qu’ils perdent en quantité, ils le gagnent en densité.

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Photo : sans titre, 2016, Stefan Boness, p. 42 (bas).

Ainsi, Visscher indique qu’avec l’envoi par Mussolini de plus de 250 000 militaires en Afrique de l’Est dans le cadre de sa campagne abyssinienne, le nombre de colons européens à Asmara passe de 4 000 en 1934 à plus de 70 000 en 1941. Sans surprise :

« living quarters and workplaces of the Eritrean inhabitants were now restricted to certain areas. The plan intended to house all locals in a quarter with no green areas and no public space, completely separated from the Italian quarter by a green belt. The ghetto where more than 100,000 poorer Eritrean inhabitants were compelled to live – packed together with no sewerage or water supply – present[ed] a striking contrast to the European city with its boulevards and splendid buildings » (p. 9 et 11).

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Photo : sans titre, 2016, Stefan Boness, p. 60 (haut).
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Photo : sans titre, 2016, Stefan Boness, p. 60 (bas).

Visscher attire par ailleurs l’attention sur les tensions qui existaient alors en Italie entre l’Art Deco, le Razionalismo et le Futurismo. Difficile de ne pas s’enthousiasmer pour ces nuances éloignées du grondement des canons et des rapports tendus entre colons et colonisés. Toutefois, alors que les architectes de cette époque trouble semblent trop heureux de profiter du terrain d’expérimentation qui leur est offert, la suggestion que le modernisme ait ici été instrumentalisé à des fins politiques s’avère plus difficile à avaler. De la même façon, il aurait été intéressant que les auteurs s’étendent davantage sur « les quartiers autochtones non planifiés d’Arbate Asmera et d’Abbashawel » qui font pourtant partie de la désignation de l’UNESCO. Et cela, d’autant plus que Boness a réalisé d’autres reportages photographiques empreints de sensibilité dans le pays. Voilà donc une bonne raison d’aller voir par soi-même tous ces contrastes !

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Photo : Staircase in an apartment building, architect A. Bibolotti, 1944, 2016, Stefan Boness, p. 40.