Lu : Beauté fatale : les nouveaux visages d’une aliénation féminine par Mona Chollet et publié aux Éditions La Découverte Poche en 2015 (paru originalement en 2012 aux Éditions Zones); et écouté : Ce que Fanny Britt a appris cette année diffusé sur les ondes de la Première chaîne de Radio-Canada dans le cadre de l’émission Plus on est de fous, plus on lit ! le 16 novembre 2017.
Non sans quelque effet dramatique, la journaliste Mona Chollet (1973- ) constate que dans le monde qui est le nôtre : « […] l’horizon sur lequel chacun s’autorise à projeter ses rêves s’est rétréci jusqu’à coïncider avec les dimensions de son chez-lui et, plus étroitement encore, avec celles de sa personne. Notre apparence, comme l’agencement et la décoration de notre cadre de vie, est au moins quelque chose sur quoi nous avons prise » (p. 32).
C’est peut-être effectivement ce qui explique que l’influenceuse Garance Doré ait eu envie de dormir dans son nouveau sac Vuitton par Sofia Coppola ! Cependant, même si cela n’est pas tout à fait aussi réconfortant qu’une doublure en daim, cette situation est-elle pire qu’à d’autres époques de l’Histoire ? Ou est-ce à force de se répéter que tout va mal, comme le font les médias avec un zèle sans cesse renouvelé, que l’on commence à y croire ?
Une chose est certaine : « Au-delà des belles images [irréelles ?], l’omniprésence de modèles inatteignables [combinée à la mise en vedette des actrices et des mannequins comme modèles ultimes de la réussite féminine (p. 48)] enferme nombre de femmes dans […] dans des spirales […] où elles laissent une quantité d’énergie exorbitante » (p. 8).
À cela s’ajoute : « […] la surenchère d’articles [jouant « sur des craintes et des failles très intimes »] signalant [aux femmes] tous les aspects d’elle[s]-même[s] qui pourraient partir à vau-l’eau et les façons d’y remédier, [leur] disant implicitement, mais avec une insistance proche du harcèlement, que [leur] principale, voire [leur] unique vocation est d’exalter et de préserver [leurs] attraits physiques » (p. 35), car la femme serait « une créature avant tout décorative » (p. 34), objet de « de regards et de fantasmes » (p. 29).
C’est probablement cette culture martelée partout qui fait dire à la dramaturge et romancière Fanny Britt (1977- ) : « Celle qui, comme moi, a vu les premiers #moiaussi avec le vieux réflexe […] de penser que si elle n’a pas d’histoire de harcèlement à raconter, c’est qu’elle n’est pas assez belle […]. Normal qu’on ne l’ait jamais sifflée dans la rue, elle est laide. Normal qu’on ne lui ait jamais fait le compliment de l’embrasser de force, de lui pogner une boule contre son gré dans un party. Normal qu’on ne lui ait pas fait de déclaration de désir sur son lieu de travail. Elle ne suscite pas le désir. Celle-là, comme moi – je devrais dire « moi » –, moi aussi, je suis ce système-là […] avec ma violence intériorisée contre moi-même et par conséquent contre les femmes. »
Tous ces carcans font dresser les cheveux sur la tête, comme les dérapages connus, mais non moins troublants du culte de la minceur (de l’ascèse à l’anorexie en passant par le surentraînement), du complexe mode-beauté (dont le cynisme se rapproche de celui de son cousin militaro-industriel), du monde des mannequins (et des hommes qui gravitent autour de ces dernières, surtout) et de la chirurgie plastique (qui gomme le singulier), tous analysés avec justesse et indignation par Chollet.
Cherchant un peu de lumière, on souhaiterait que davantage puissent s’inspirer de l’aventurière Isabelle Eberhardt (1877-1904) qui, citée par Chollet, affirmait : « J’ai toujours été très étonnée de constater qu’un chapeau à la mode, un corsage correct, une paire de bottines bien tendues, un petit mobilier de petits meubles encombrants, quelque argenterie et de la porcelaine suffisaient à calmer chez beaucoup de personnes la soif du bonheur. Toute jeune j’ai senti que la Terre existait et j’ai voulu en connaître les lointains. Je n’étais pas faite pour tourner dans un manège avec des oeillères de soie » (p. 119).
Post-scriptum : les compositions de la photographe chinoise Ziqian Liu (1990- ) ne font peut-être pas consciemment l’apologie de la minceur extrême, mais il est impossible de ne pas y penser. Sans endosser une telle position, la « beauté inconfortable » de ses images semblait néanmoins convenir aux présents propos.