English version below:
Terminé de lire : Sorcières : la puissance invaincue des femmes par Mona Chollet publié aux Éditions La Découverte dans la collection Zones en 2018; et lu en partie : Transitory Ghosts and Angels in the Photography of Francesca Woodman par Georgie Boucher, un essai de janvier 2007 mis en ligne le 7 mai 2009 sur le site American Suburb X (ASX).
J’ai raconté mille fois cette histoire, mais le temps est peut-être venu de l’écrire.
Lors de critiques à l’école d’architecture, combien de fois ai-je vu un étudiant présenter son projet avec assurance, voire de manière flamboyante, alors que ce projet était honnête, mais sans plus ? Combien de fois ai-je vu une étudiante présenter son projet en hésitant, voire en s’excusant, alors que ce projet démontrait manifestement une maîtrise et une sensibilité remarquables ? Et combien de fois ai-je ensuite vu le jury s’enthousiasmer aveuglément pour le projet de l’étudiant et discutailler avec une pointe de condescendance du projet de l’étudiante ? Trop souvent.

Souvent aussi, j’ai vu des étudiantes papillonner autour de leur maquette dans un savant ballet, tous charmes dehors, comme si leur projet ne suffisait pas à convaincre… alors que celui-ci n’avait pourtant rien à envier à ceux de leurs collègues, au contraire.

D’après Mona Chollet (1973- ), le lien des femmes : « […] avec un homme et des enfants, vécu sur le mode du don de soi, reste considéré comme le coeur de leur identité » et : « La façon dont les filles sont élevées et socialisées leur apprend à redouter la solitude et laisse leurs facultés d’autonomie largement en friche » (p. 35). Cela expliquerait leur cantonnement dans des : « professions liées à l’éducation, au soin des enfants et des personnes âgées, ou dans des fonctions d’assistance », une situation pouvant les amener à : « vivre leur vocation par procuration, en jouant les conseillères, les « petites mains » ou les faire-valoir » (p. 75 et 76).

Chollet constate par ailleurs que : « Après des siècles où les hommes de science et de religion, les médecins, les hommes politiques, les philosophes, les écrivains, les artistes, les révolutionnaires, les amuseurs publics ont martelé sur tous les tons la bêtise congénitale et l’incompétence intellectuelle sans remède des femmes, en les justifiant au besoin par les plus folles élucubrations sur les défaillances de leur anatomie, il serait très étonnant que nous ne nous sentions pas légèrement inhibées » (p. 179). Pas étonnant non, devant un tel déversement d’inepties, que les étudiantes ne commencent pas la présentation de leur projet en clamant que celui-ci va faucher les pilotis du modernisme tout puissant et éclipser Corbu.

Pour sa part, Chollet explique écrire des livres pour créer des lieux où elle se sent compétente, et trouver son bonheur dans le fait de : « débusquer, dans les strates d’images et de discours accumulés, […] le caractère arbitraire et contingent des représentations qui nous emprisonnent à notre insu et [de] leur en substituer d’autres, qui nous permettent d’exister pleinement » en : « affirmant leur pertinence, leur dignité » (p. 183 et 41).

Au fil d’une pensée foisonnante, Chollet a en tout cas le mérite de faire des liens, comme lorsqu’elle décortique la façon dont le culte de la rationalité économique et scientifique a mis la nature à distance pour mieux en justifier l’exploitation et comment, une fois « domptée », celle-ci a commencé à être représentée, ironiquement, sous la forme d’une figure féminine.

Chollet ne prône pas pour autant que chacun vive en autarcie dans une cabane au fond des bois (nous sommes déjà trop nombreux pour les forêts qu’il nous reste !). Elle préfère ou accepte simplement un : « […] un monde où chaque mystère élucidé en fait surgir d’autres et où, selon toute vraisemblance, cette quête n’aura jamais de fin » (p. 186).

Depuis le suicide de la photographe Francesca Woodman en 1981 (à l’âge de 22 ans), les interprétations abondent au sujet de ses images. Des chercheures comme Boucher avancent que, en agissant comme son propre modèle, Woodman procédait à une « auto-objectification » rejoignant l’imaginaire surréaliste (qui serait surtout masculin). En même temps, ce geste serait subversif tant l’artiste incarnerait, par sa présence dans le cadre, une sorte de condensé de l’expérience féminine.

Je ne sais pas ce que Woodman aurait pensé de telles analyses. J’imagine cependant que, comme Chollet, elle cherchait d’abord à débusquer le sens de ce qui l’entourait et de ce qui l’animait. Et c’est précisément ce qui est fascinant dans ses photographies, soit d’essayer de voir ce qu’elle, elle voyait. N’est-ce pas ce que la critique devrait encourager, ces manières compétentes d’envisager le monde, plutôt que la capacité de finasser ?

English version:
Uncovering
Finished reading: Sorcières: la puissance invaincue des femmes by Mona Chollet, published by Éditions La Découverte in the collection Zones in 2018; and read in part: Transitory Ghosts and Angels in the Photography of Francesca Woodman by Georgie Boucher, an essay from January 2007 posted on May 7, 2009 on the American Suburb X (ASX) website.
I’ve told this story a thousand times, but perhaps it’s now time to write it down.
During « crits » in architecture school, how many times have I seen a male student confidently, even flamboyantly, present his project when it was honest, but nothing more? How many times have I seen a female student present her project hesitantly, even apologetically, when it clearly showed remarkable mastery and sensitivity? And how many times have I seen the jury blindly enthusiastic about the male student’s project, and then discuss the female student’s project somewhat with condescension? Too often.

I have also often seen female students fluttering around their models in a skillful ballet, in full-seduction mode, as if their project alone could not convince… even though it had nothing to envy their male colleagues’ projects, quite the contrary.

According to Mona Chollet (1973- ), women’s relationship: « […] with a man and children, lived in the mode of self-giving, is still considered the core of their identity » and: « The way in which girls are brought up and socialized teaches them to fear solitude and leaves their faculties of autonomy largely fallow [loose translation] » (p. 35). This would explain their confinement to: « occupations related to education, childcare and care of the elderly, or in caring functions« , a situation that can lead them to: « living their vocation by proxy, acting as advisors, ‘little hands’ or stooges [loose translation] » (pp. 75-76).

Chollet also notes that: « After centuries during which men of science and religion, doctors, politicians, philosophers, writers, artists, revolutionaries, and public entertainers have hammered home the congenital stupidity and unremitting intellectual incompetence of women, justifying it if necessary with the wildest fantasies about the failings of their anatomy, it would be very surprising if we did not feel slightly inhibited [loose translation] » (p. 179). It is not surprising, given such an outpouring of nonsense, that female students do not begin the presentation of their project by claiming that it will snap the pillars of all-powerful modernism and eclipse Le Corbusier.

For her part, Chollet explains that she writes books to create places where she feels competent, and finds happiness in: « the arbitrary and contingent character of the representations that blindly imprison us, and in substituting them with others that allow us to exist fully » while: « affirming their relevance, their dignity [loose translation] » (pp. 183 and 41).

Throughout her effervescent thinking, Chollet has the merit of connecting some dots, as when she analyzes the way in which the cult of economic and scientific rationality has put nature at bay in order to better justify its exploitation, and how, once ‘tamed’, it began to be represented, ironically, in the form of a female figure.

Chollet does not advocate that everyone should live in autarky in a cabin deep in the woods (there are too many of us for the little forests we have left!). She simply prefers or accepts a: « […] a world where each mystery solved brings forth others and where, in all likelihood, this quest will never end [loose translation] » (p. 186).

Since the suicide of photographer Francesca Woodman in 1981 (at the age of 22), interpretations abound regarding her images. Researchers such as Boucher argue that, by acting as her own model, Woodman was engaged in a « self-objectification » that was in keeping with the surrealist imagination (which is said to be primarily male). Simultaneously, this process would be subversive in that the artist would embody, through her presence within the frame, some condensation of the female experience.

I don’t know what Woodman would have thought of such interpretations. I am guessing though, that like Chollet, she was primarily trying to uncover the meaning of the world around her, and what was driving her. And that is precisely what is fascinating about her photographs, that is, trying to see what she saw. Shouldn’t « crits » encourage these competent ways of looking at the world, rather than the ability to bamboozle?
