Lu : Les vulnérabilités sans fin, un texte de Nicolas Langelier paru dans le numéro 18 du magazine Nouveau Projet; et commencé à lire : Sorcières : la puissance invaincue des femmes par Mona Chollet, paru dans la collection Zones aux Éditions La Découverte en 2018.
Lorsque, sur mon vélo, j’attends que le feu passe au vert et que le gars derrière baisse sa vitre et me crie : « Tasse-toé d’ans l’chemin ! », j’ai soudainement moins confiance dans l’humanité. Je me dis que cette pulsion du plus gros d’intimider le plus petit, des majorités d’écraser leurs minorités, s’accorde assez peu avec le vernis de civilisation dont le chatoiement nous aveugle.
Lorsqu’un automobiliste songe à aplatir des cyclistes, je me demande si des escadrons de contrariés se réveillant la nuit pour détester les élites dites multidiplômées – multiculturelles – multigenres et leur mode de vie urbain – épicurien ne sont pas en train de se former ici aussi.

Lorsque je parcours les pages de Nouveau Projet, j’entends des voix hautement préoccupées, avec raison, par l’avenir de la planète face aux enjeux posés par la « crise environnementale ». Cependant, lorsque je lis qu’ : « […] il nous faut abandonner cet espoir que peut-être les choses puissent s’arranger […]. [Qu’il] nous faut faire, au niveau collectif, ce que fait cette personne qui intègre réellement l’idée qu’elle ne guérira pas de sa maladie dégénérative et qui prend les mesures pour transformer sa vie en conséquence » (p. 22), j’ai soudainement moins confiance dans l’humanité.
Et, lorsque la solution semble résider dans le passage par un enfer où nous connaîtrons : « des épreuves et des souffrances qui, en détruisant ce qui rest[e] de [nos] travers humains, [nous] permettront d’émerger de l’autre côté, transformé[s], purifié[s] » (p. 23), ces accents apocalyptiques éclipsent tout simplement les bonnes intentions de l’émetteur et brouillent mon sang froid de récepteur.

Alors que chacun, du haut de son piédestal moral, semble convaincu d’avoir raison, de connaître ce qui est bon pour l’autre (envers et contre l’autre); alors que plusieurs discours militants, peu importe la cause, avancent maintenant que nul ne peut comprendre la minorité opprimée s’il n’en fait pas lui-même partie, comment jeter des ponts, rallier des alliés, piquer une jasette ?

Comment éviter, ultimement, ce que Chollet décrit comme : « […] l’entêtement des sociétés à désigner régulièrement un bouc émissaire à leurs malheurs, et à s’enfermer dans une spirale d’irrationalité, inaccessible à toute argumentation sensée, jusqu’à ce que l’accumulation des discours de haine et une violence devenue obsessionnelle justifient le passage à la violence physique […] » (p. 14).
Pourtant, rien ne nous oblige à descendre dans le fossé. Entre la noirceur insondable des abysses et les autruches à lunettes roses, il y a certainement un sentier.
