Vu : la pièce « 887 » par et avec Robert Lepage, présentée au Diamant jusqu’au 21 décembre 2019; et la série télévisée « Au service de la France » par Jean-François Halin, Claire LeMaréchal et Jean-André Yerles, diffusée sur Netflix.
Si, en replongeant dans ses souvenirs d’enfance, Lepage rend un nouvel hommage magistral au caractère unique de la ville qui l’a vu naître, un de ces retours en arrière demeure plus ambigu.
En 1967, lors d’un discours prononcé devant 15 000 personnes rassemblées au pied du balcon de l’hôtel de ville de Montréal, le général de Gaulle proclame : « Vive le Québec… li-bre ! » L’accent mis depuis sur cette seule phrase pourrait faire oublier, après le tonnerre d’applaudissements qui dura une vingtaine de secondes, les mots qui suivirent : « Vive le Canada français et vive la France ! »

Ou le crescendo qui précéda cet appel historique, incluant : « La France entière sait, voit, entend ce qui se passe ici », une déclaration rappelant le célèbre : « Je vous ai compris. Je sais ce qui s’est passé ici » lancé à Alger en mai 1958. Ou les nombreux concentrés de rhétorique colonialiste aussi astucieuse que tordue comme : « […] parce que s’il y a au monde une ville exemplaire par ses réussites modernes [l’Expo 67 bat alors son plein à Montréal avec près de 55 millions de visiteurs], c’est la vôtre… Je dis : « C’est la vôtre ! » et je me permets d’ajouter : « C’est la nôtre ! »
La série « Au service de la France » jette quant à elle, à travers le filtre des services secrets français, un regard décapant sur les quelques travers de l’Hexagone à l’aube des années soixante : amour des andouillettes le mercredi midi au Moderne, vénération absolue du règlement tatillon, imagination sans borne pour contourner celui-ci, chauvinisme aveugle et misogynie galopante.

Après avoir franchi un barrage routier tenu par des felquistes venus s’entraîner en Algérie, l’agent Calot explique ainsi à ses collègues la promesse faite en échange : « […] je me suis engagé à ce que le général dise : « Vive le Québec libre ». L’agent Moulinier demande alors : « Qu’est-ce que ça veut dire ? » Et Calot de répondre : « Je n’en ai aucune idée. C’est comme : « Je vous ai compris », ça marche à tous les coups ! ».

Mais d’où vient une telle soif de reconnaissance surtout, lorsque étranglée par le poids de son histoire et obnubilée par son propre besoin de « redevenir un phare pour tous les peuples du monde [car] c’est sa vocation » (finale du discours de Jacques Chirac à la suite de sa victoire aux élections de 1995), la mère patrie est simplement incapable d’apprécier la véritable valeur de ses « enfants ».
En tout cas, Lepage, lui, n’a pas attendu la reconnaissance de personne avant d’aller jouer ses oeuvres sur toutes les planches du monde.