Esprit critique

Lu : Zucked: Waking Up to the Facebook Catastrophe par Roger McNamee publié chez Penguin Press en 2019.

Sans Facebook, je n’occuperais pas l’emploi que j’occupe aujourd’hui. En même temps, en raison de Facebook, je me sens maintenant obligé de lire régulièrement ce que des membres de ma famille, des amis, des collègues et des connaissances y écrivent, car s’ils prennent le temps de partager une pensée, une photo ou un lien, c’est que cela doit être important.

Photo : sans titre et sans date, Ekaterina Anchevskaya, source.

« Venture capitalist » dans la Silicon Valley depuis trente-cinq ans, Roger McNamee agit comme mentor de Mark Zuckerberg aux débuts de Facebook. Son enthousiasme est cependant sérieusement freiné lorsque le géant des réseaux sociaux est éclaboussé par différents scandales, dont celui de Cambridge Analytica en 2016. Facebook refuse alors non seulement de modifier certaines de ses pratiques, mais l’entreprise affiche une arrogance préoccupante considérant l’influence qu’elle exerce sur les 2,2 milliards d’utilisateurs de sa plate-forme.

Usant de l’étendue exceptionnelle de son propre réseau, McNamee entreprend donc une vaste réflexion. Celle-ci le mènera, entre autres, à rencontrer de nombreux intervenants clés, dont Tristant Harris du Center for Humane Technology et la parlementaire européenne Marietje Schaake, puis jusqu’aux portes du Congrès des États-Unis dans le but d’encadrer un monde virtuel autrement peu ou pas réglementé de ce côté-ci de l’Atlantique.

Photo : sans titre et sans date, Ksenia Kuleshova, source.

Dans le récit de son enquête, McNamee indique que les grandes plates-formes comme Facebook et Google exploitent les faiblesses de la psychologie humaine dans le but de monopoliser l’attention et de créer une véritable dépendance : « […] platforms compete for attention They compete[…] against other products. They compete[…] against other leisure and work activities. And as Netflix CEO Reed Hastings memorably observed, they compete[…] against sleep. » (p. 105) « And driving » serait-on tentés d’ajouter !

Photo : sans titre et sans date, série From Car, Joel Meyerowitz, source.

Il constate également que : « From its earliest days, the internet’s culture advocated free speech and anonymity without constraint. » (p. 101), mais qu’en permettant aussi aux extrémistes de se retrouver et de s’encourager, ces derniers ne craignent plus l’opprobre social. À preuve, ces autocollants « Fuck your hybrid » que l’on aperçoit maintenant dans la lunette arrière de certains pickups, ici même dans la capitale des radio-poubelles.

Photo : sans titre et sans date, Eléonore Simon, source.

Dans un monde où le scandale et l’indignation captent l’attention, et où : « Whoever gets the most likes is in charge; whoever gets the most shares is an expert. » (p. 94), ces voix prennent du coffre et : « The slavish tracking of Twitter by journalists, in combination with their willingness to report on things that trend there, has made new organizations complicit in the degradation of civil discourse. » (p. 102) Il est effectivement possible de constater cette détérioration chaque jour sur les ondes ou dans les pages de nos médias même les plus rigoureux.

Photo : sans titre et sans date, Eléonore Simon, source.

McNamee explique par ailleurs, comme Eli Pariser, que toutes les données récoltées et triturées par les algorithmes mènent éventuellement les internautes dans une « filter bubble » (p. 94), en raison d’une présélection personnalisée effectuée à leur insu des informations auxquelles ils ont accès. Ce phénomène est constaté même sur le présent blogue, alors que celui-ci s’est vu progressivement restreint, depuis sa création, dans un espace « franco-français » extrêmement limité. Et cela, malgré le fait qu’une partie de son contenu soit traduit et malgré l’utilisation de mots-clés dans d’autres langues lors de recherches sur WordPress.

Photo : sans titre et sans date, Tanya Prilukova, source.

Ces mêmes données personnelles seraient finalement revendues (le chiffre d’affaires de Facebook en 2018 s’élevait à 55 milliards de dollars américains) à des entreprises qui peuvent ainsi concevoir des publicités mieux ciblées, mais aussi à des partis politiques ou à des intérêts étrangers qui peuvent à la fois mobiliser plus efficacement des partisans ou encore décourager les autres d’aller voter. D’après McNamee, « […] roughly four million Obama voters did not vote in 2016, nearly fifty-two times the vote gap in the states Clinton needed to win but didn’t. » (p. 117) Cela fait penser à la presse jaune au dix-neuvième siècle, mais avec une puissance de frappe démultipliée par les armées de bots informatiques et la vitesse à laquelle les rumeurs circulent aujourd’hui.

Photo : sans titre et sans date, Evelyn Bencicova, source.

Face à tous ces jeux d’influence, la dernière barrière reste encore et toujours, et comme l’écrit McNamee, de tenter d’être : « […] appropriately skeptical about what we read, watch, and hear, applying critical thinking to content from all sources, seeking out different perspectives, and validating content before we share it. » (p. 269)