Barbares

Vu : le spectacle Je me soulève mis en scène par Gabrielle et Véronique Côté, et présenté au Théâtre du Trident du 23 avril au 18 mai 2019, et lu : The End of the American Century: What the life of Richard Holbrooke tells us about the decay of Pax Americana par George Packer et publié dans le numéro du mois de mai 2019 du magazine The Atlantic.

Je me soulève regorge de bons ingrédients : utilisation imaginative de l’espace scénique, moyens simples et efficaces pour créer des d’atmosphères fortes, musiciens sur la passerelle (ou dans la tente !), textes déjantés (« relecture » du catalogue Ikea) ou bouleversants (la chanson Les Yankees de Richard Desjardins reste, trente ans plus tard, toujours aussi percutante), performance solide de plusieurs commédien.ne.s (Gabrielle Ferron, Jean-Philippe Côté et Sarah Villeneuve-Desjardins en particulier).

Photo : sans titre et sans date, Stéphane Bourgeois, source.
Photo : sans titre et sans date, Stéphane Bourgeois, source.

Au moment où une réelle volonté/capacité d’améliorer les choses semble échapper aux partis politiques existants (un paysage vigoureux, une école où les enfants apprennent, des hôpitaux où l’on soigne les malades, des rues où il fait bon vivre ensemble, avec les autochtones qui nous accueillent, avec nous-mêmes et avec les immigrants que nous accueillons), Je me soulève a le courage de dénoncer plusieurs malaises (la scène où plusieurs comédiennes, face à l’auditoire, prennent position est impressionnante) tout en cherchant le moyen de continuer de rêver et d’agir. Les enfants auraient pu avoir quelques lignes à eux et, surtout, certains textes auraient gagné à être davantage déclamés que (presque) criés. Toutefois, dans le contexte actuel, l’urgence d’empoigner le mégaphone est compréhensible et pourquoi ne pas le faire avec un peu de poésie!

Photo : sans titre et sans date, Stéphane Bourgeois, source.

Seule ombre au tableau : une allusion au référendum de 1995, à cette soirée au cours de laquelle « les parents ne sont pas venus réveiller leurs enfants pour leur annoncer la naissance enivrante d’un pays ». Difficile de comprendre cet enthousiasme déçu alors que, au moment même où le nettoyage ethnique faisait rage dans les Balkans, Parizeau n’hésite pas ici, dans l’amertume de la défaite, à blâmer le « vote ethnique ».

Photo : Barricades, Sarajevo, hiver 1993, Jean-Claude Gisbert, tirée de : Thérèse Blondet-Bisch et Thomas Michaeil Gunther (2008). Une traversée photographique du XXe siècle, Creaphis.

Dans son portrait du diplomate américain Richard Holbrooke, Packer rappelle la dérive hallucinante du conflit en ex-Yougoslavie et le caractère explosif d’un nationalisme mal canalisé (je souligne) :

« The idea spread through the rest of Yugoslavia. It stirred among Slovenes, who considered themselves more Austrian than Slav, and among Croats, whose leader, Tudjman, a retired general, seemed to style himself after Francisco Franco—pompous, racist, entertaining fantasies of glory for his people and himself. It stirred among Albanians, 90 percent of the population of Kosovo, an autonomous region of Serbia, who wanted equal status with the other Yugoslav republics. It stirred among Bosnia’s Muslims, who were barely even considered a nation. But by far the most aggressive strain was Serb. Someone once said that, for Serbs, nationalism was such addictive stuff that they couldn’t take even one sip. It had the irresistible taste of bitterness, flavored with the sediment of ancient grievances, distilled to a dangerous potency that induced hallucinations of purification and revenge. »

Photo : en route vers Maribor, Slovénie, 1995, L. Godbout.

En 1995, à 80 kilomètres de Zagreb, j’ai vu les escadrons de chasseurs envolés depuis la base d’Aviano déchirer le ciel pour faire respecter la « no fly zone ». Et j’ai eu froid dans le dos. Poésie oui, mais prudence aussi pour que l’on continue de vivre « encore plus forts, malgré le frette et les barbares. »

Merci beaucoup à Marie-Hélène de m’avoir invité à découvrir cette création de ses cousines engagées.