Vu : le documentaire Feminists: What Were They Thinking? de la réalisatrice Johanna Demetrakas (2018), et relu : Emergence par Cynthia MacAdams publié par Chelsea House en 1977.
Ce recueil des photographies de MacAdams se repose dans ma bibliothèque depuis un moment déjà. Jusqu’au moment de voir le documentaire de Demetrakas, je n’osais pas le tirer de son sommeil.
Pourquoi ? Parce qu’à première vue les images de MacAdams sont loin des celles polies à l’infini auxquelles nous sommes maintenant habitués. Parce que la préface de Kate Millet annonce l’arrivée d’une « new kind of woman » (p. 5), alors que bien avant d’entendre le mot « féministe » et d’en comprendre la portée, j’ai vu ma mère être simplement elle-même. MacAdams cherchait des femmes qui « just [did] what they wanted to do and [who were] not be afraid of being different or unconventional » (p. 7). En cherchant encore un peu, elle aurait pu trouver ma mère.

Le titre du film de Demetrakas pourrait sembler condescendant envers son sujet, mais c’est qu’il doit être pris au sens littéral, sans cynisme. En fait, au fil d’une série d’entrevues récentes avec les femmes photographiées il y a plus de quarante ans par MacAdams, il donne un aperçu du parcours de chacune et, du même coup, une profondeur à chacun des clichés. Les réflexions nuancées des artistes Judy Chicago et Laurie Anderson sont, à ce titre, particulièrement éclairantes.


Certaines critiques faites au mouvement féministe sont aussi abordées, comme le sacrifice des revendications des femmes de couleur sous prétexte de ne pas laisser les enjeux de genre et de race diviser les troupes. Funmilola Fagbamila (professeure à la California State University, dramaturge et membre fondatrice de Black Lives Matter) demande ainsi : « So, where, then, do black women exist in this conversation? If you can’t talk about, within black spaces, […] about your gender, and within women’s spaces, you can’t talk about your race, but you are both, equally, every day when you wake up, what, then, do you do? »


Pour plusieurs, le féminisme serait une chose du passé désormais inutile en raison des pas de géant du progrès. Signe que l’équilibre serait rétabli ou stratégie d’intimidation pour mieux étouffer l’espoir ? Alors que l’on se doit d’être constamment à l’avant-garde, personne n’a envie d’être perçu comme étant empêtré dans une autre époque. Pourtant, mille et un décalages chaque jour autour de nous témoignent d’un malaise persistant, preuve qu’il y a encore un bout de chemin à faire pour que toutes, partout et tout le temps, puissent être enfin simplement elles-mêmes.

