Vu : l’International Slavery Museum à Liverpool et l’exposition « Bodies of Colour: Breaking with stereotypes in the wallpaper collection » présentée par à la sublimissime Whitworth Art Gallery à Manchester jusqu’en mai 2019.
Contrairement à nos grands musées qui misent bien souvent sur des expositions « blockbusters », l’International Slavery Museum à Liverpool fait le difficile choix de regarder l’histoire en face. La raison : à la fin du 18e siècle, Liverpool devient la capitale européenne de la traite transatlantique des esclaves et, à terme, ses « négriers » ont assuré le transport de près d’un million et demi d’Africains vers l’esclavage (sur la douzaine de millions répertoriés). Rien de moins.

Plusieurs textes de l’exposition permanente sont un peu succincts et conçus pour bouleverser. Les faits demeurent implacables cependant, incluant des épisodes d’autant plus ahurissants qu’ils sont récents, comme « The Tuskegee Experiment » :
« In 1932 the US Public Health Service conducted a medical experiment on 400 poor illiterate Black sharecroppers with syphilis in Tuskegee, Alabama. Calling it « bad blood », the doctors lied to the men in order to watch the effects of the illness. Their wives and babies were unknowingly infected. In 1972 the study was finally terminated. »
Et cela n’empêche pas non plus les nuances, comme au sujet des principales conséquences de l’esclavage :
« The labour and inventiveness of enslaved peoples shaped the Americas and enriched Western Europe, rather than their African homelands. »
Impossible donc de ne pas être bouleversé, mais impossible de ne pas être en même temps soufflé par tant de lucidité. En reconnaissant qu’une partie importante de son développement et de sa prospérité découlent directement du rôle clé joué dans un commerce abject, Liverpool fait preuve d’une rare honnêteté.
Quant à la Whitworth Art Gallery à Manchester, elle n’hésite pas à aborder le sujet du racisme, mais cette fois à travers des exemples tirés de sa collection de papier peint. D’emblée, le premier panneau postule que :
« This exhibition deals with some difficult questions [but our] aim is to bring together different positions and experiences within an atmosphere of respect, learning and understanding. »
Et précise que :
« The team at the Whitworth have [sic] been discussing how we challenge racist representations within our collections. We all believe in this but don’t all agree about how it should be done. Bodies of Colours opens this up and invites you to contribute to an evolving conversation. »
À nouveau, une telle franchise et une telle ouverture d’esprit, au-delà des divergences, sont rafraîchissantes.

J’ai déjà entendu des conversations passionnées entre des Québécois « pure laine » qui s’enthousiasmaient pour tel pays, tel dirigeant ou telle situation politique en Afrique. À mon grand étonnement, car il était difficile, à défaut de mieux connaître ce continent, de départager ce qui dans leurs propos tenait du mythe ou de la réalité. Aussi, je n’avais jamais entendu auparavant ces mêmes personnes s’intéresser, par exemple, au parcours de telle Première Nation ou de tel chef autochtone.
Aujourd’hui, dans un même élan surréaliste, la dénonciation de l’appropriation culturelle, en confondant pillage et métissage, semble surtout l’occasion de se perdre dans la définition des soi-disant vrais et faux propriétaires de tragédies historiques. Pire, elle construit de nouvelles petites cases dans lesquelles chacun devrait se tenir. À quand une véritable conversation qui permettrait de mieux comprendre l’expérience de l’autre ? Tant celle des victimes qui devraient pouvoir raconter leurs histoires dans leurs propres mots que celle des « gagnants » dont la vision évolue et se diversifie, trop lentement certes, mais qui tente tout de même de faire, de façon de plus en plus originale, son examen de conscience.
