Vu : l’Imperial War Museum (IWM) North à Manchester.
Ici, contrairement au Musée canadien de la guerre à Ottawa, pas d’images insoutenables montrant des soldats victimes de l’« obusite » lors de la Première Guerre mondiale. Non, ici, l’acier du canon des armes est étincelant, le graphisme des affiches de propagande est impeccable, les avions de chasse sont de véritables oeuvres d’art.


Ici, la guerre est belle, belle comme ces 1 200 portraits réalisés par Richard Ash et Damon Cleary, deux photographes talentueux qui se sont rendus sur le front en Afghanistan, mais dont l’approche diffère des éclopés montrés avec dignité par Bryan Adams.
Ici, la guerre est également une affaire de chiffres qui donnent vite le tournis. Comme lorsque près de 20 000 soldats britanniques sont tués dès le premier jour de la bataille de la Somme en 1916. 141 jours plus tard, le bilan s’élève à plus d’un million de morts (Britanniques, Français et Allemands réunis) sans avoir permis d’avancée notable d’un côté ou de l’autre. Dans la même démesure, 750 000 civils sont anéantis sous les tapis de bombes déroulés à partir de mai 1942 par l’aviation britannique puis à partir de mars 1943 par l’aviation américaine. 90 000 membres d’équipage ne sont par ailleurs jamais rentrés de ces raids. Les chiffres sont tellement extravagants que la mort devient abstraite. En même temps, justement parce que les chiffres sont si élevés, la boucherie crève les yeux même si elle n’est pas nommée.

Il est par ailleurs fascinant de lire sur un panneau : « As part of the battle [celle d’Arras en 1917] the Canadians stormed Vimy Ridge ». Une seule ligne, pas un mot de plus, alors que de ce côté-ci de l’Atlantique, la prise de la crête de Vimy est considérée par plusieurs comme un événement fondateur pour le Canada. Il s’agit en effet de la première fois où les quatre divisions du Corps canadien se battent côte-à-côte depuis le début de la guerre, que l’attaque est préparée avec autant de soin, que de nouvelles tactiques sont mises au point et que les lignes ennemies sont percées de façon durable là où tous ont échoué précédemment. Demi-mots donc sur ce petit éclat de lumière de même que sur les 10 000 hommes perdus en quatre jours de combats acharnés.
Bref, comment parler de la guerre avec nuances, en rendant hommage à ceux qui ont vu son visage, en ne taisant pas l’horreur, mais en ne s’embourbant pas non plus dans la boue des tranchées ? Périlleux. C’est là que, dans un couloir en retrait de la salle principale, l’exposition Mixing It: The Changing Faces of Wartime Britain reconnaît enfin ces militaires et civils étrangers qui ont épaulé le Royaume-Uni, comme ces pilotes polonais qui, après avoir traversé l’Europe occupée, ont abattu plus de Messerschmitt que tout autre escadron de la Royal Air Force.

C’est là aussi qu’il aurait été intéressant de pouvoir visiter l’exposition temporaire au sujet du conflit qui perdure en Syrie, dont le montage n’était malheureusement pas terminé.
Finalement, l’Imperial War Museum North (construit de 1997 à 2001) soulève plusieurs questions. D’abord, est-il nécessaire d’afficher le concept du bâtiment à l’entrée de celui-ci ?

Et pourquoi ce quasi-monopole de Daniel Libeskind sur une architecture de la terreur ? N’y aurait-il pas, justement, d’autres manières d’exprimer l’inexprimable ?
