Terre brûlée

Presque tout lu : The Encyclopedia of Trouble and Spaciousness par Rebecca Solnit publié chez Trinity University Press en 2014, et tout lu : le catalogue de l’exposition It’s All Happening So Fast, A Counter-History of the Modern Canadian Environment présentée au Centre canadien d’architecture jusqu’au 9 avril 2017.

Sans militants, des sujets d’intérêt public resteraient dans l’ombre, des situations inacceptables ne seraient pas dénoncées et nos décideurs seraient moins tentés d’agir dans bien des dossiers. En même temps, il est difficile à la longue de prêter l’oreille au ton évangélisateur, moralisateur et exalté de plusieurs militants. Pire, l’intransigeance de certains donne parfois l’impression qu’il ne faudrait surtout pas trouver de solution à un problème, car cela leur enlèverait « leur » cause.

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Photo : série Coastal Ch. 2, image n° 59, sans date, Johan Hallberg Campbell, source.

Malgré des envolées bien intentionnées, mais qui n’échappent pas aux stéréotypes, Solnit semble consciente de ces enjeux de communication lorsqu’elle écrit que : « It might mean giving up on the environmental movement as a separate sector and thinking more holistically about what we want to protect and why, including people, places, traditions and processes outside the wilderness » (p. 94). Elle offre aussi une piste en suggérant que : «We tend to think revolution has to mean a big-in-the-streets, winner-take-all battle that culminate in regime change, but in the past half century it has far more often involved a trillion tiny acts of resistance that sometimes cumulatively change a society » (p. 136).

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Photo : série Coastal Ch. 2, image n° 166, sans date, Johan Hallberg Campbell, source.

Mais « le temps presse » comme le rappelle calmement et admirablement bien la contre-histoire proposée par le CCA. Il est bien sûr effarant d’apprendre que l’utilisation de la bombe atomique a été sérieusement envisagée, à la fin des années 1950, pour faciliter l’extraction des sables bitumineux albertains, de constater toute l’hypocrisie de la surpêche au large des côtes de Terre-Neuve dans les années 1970 et 1980, ou encore de relire la longue liste de cafouillages ayant mené en 2013 à l’un des pires accidents de l’histoire ferroviaire (Lac-Mégantic). Cependant, sans rien excuser, mais sans jeter la pierre inutilement non plus, l’objectif demeure d’abord de mieux comprendre le contexte dans lequel toute une série de gros projets et de gros dégâts se sont produits.

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Photo : Newfoundland fishery worker drying cod, 1962, tirée de Canada: Our Century par Mark Kingwell et Christopher Moore publié chez Doubleday en 1999.

Intercalée parmi ces études de cas, une entrevue avec John Ralston Saul, personnage autrement sibyllin, ose une perspective déjà là, mais trop souvent tue. D’après lui : « One of the problems in the cities is this idea that when we go to a [national] park, there will be no people there. Whereas First Nations have said, « We live here. We should organize in a way so that the place cannot be ruined, but we are going to do things here, because this is our land.  » » (p. 238). Il ajoute : « The other part of the mythology is that we are the outcome of European civilization, somewhere down the food chain from the great capitals of the West. So we make enormous mistakes because we have not come to terms with where we are and who we are. » (p. 234).

Dans un pays parcouru par tant de lignes de fracture, cette invitation à nous redéfinir, à revoir notre relation avec les Premières Nations, avec ce territoire et ces ressources que nous partageons avec elles, s’annonce à tout le moins périlleuse. En même temps, que de possibilités de faire la paix avec la nature et les gens qui étaient ici avant l’arrivée des explorateurs européens, et de créer une société encore plus originale !

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Photo : série Coastal Ch.1, image n° 04, sans date, Johan Hallberg Campbell, source.