Lu : Hivers sous la direction de Bertrand Carrière et publié aux éditions Les 400 coups en 2003.
Dans une préface courte et tout en délicatesse, Carrière constate que : « Si l’hiver a déjà passionné nos poètes, inspiré notre littérature, particularisé notre cinéma, nourri l’imagerie de nos peintres et donné naissance à d’innombrables contes et légendes », la photographie québécoise reste plus discrète, peut-être parce qu’il est moins tentant « de sortir avec son appareil photographique par un froid de -25 °C », alors que celui-ci est « tout fait de métal » et que l’on a « peine à le tenir entre ses mains ». Sans compter que « devant la grande surface blanche, on risque le gris absolu ou la perte des textures délicates dans la neige » et, devant tant de beauté, « de céder au cliché » (p. 6).

D’emblée, Carrière pose que : « Certains arrivent à vivre en parfaite harmonie avec lui, pratiquant des sports de glisse ou de plein air. D’autres s’en accommodent en s’habillant adéquatement et en s’équipant des meilleurs pneus. Plusieurs le maudissent en tentant de sortir, avec force et rage, leur voiture engloutie [dans un banc de neige]. Certains le refusent purement et simplement, et s’envolent vers le Sud le moment venu. Ainsi, l’hiver définit à lui seul la plus grande partie de ce que nous sommes et de notre rapport trouble avec ce pays » (p. 5).

Il ajoute : « Sans conteste, nous vivons dans un environnement façonné par la présence du froid et de la neige d’octobre à avril. Plus qu’une saison, l’hiver nous invente », puis conclut : « À coup sûr, notre paysage et notre manière de l’habiter en hiver constituent dans l’œil de l’Autre l’exotisme le plus total, ce qui nous rend si différents avec tous les clichés que cela sous-tend. Mais de notre point de vue, nous vivons cette saison dans un espace flou, entre la rationalité absolue et l’absurdité la plus totale. Nous sommes nordiques, des latins du Nord, encabanés, attendant désespérément la frénésie du printemps alors qu’avril se montre tenace avec ses dernières bourrasques » (p. 5).

Avec une tout autre perspective, l’auteur-compositeur-interprète Innu Florent Vollant raconte, dans son texte Pipun (hiver), comment : « L’arrivée de la première neige nous dira enfin [aux nomades suivant le gibier] la véritable valeur du territoire choisi. Sa richesse est écrite dans la neige, dans les traces qui apparaissent soudainement, partout. Le sol devenu dur, les lacs solides, c’est enfin la liberté retrouvée. Tous les déplacements seront enfin possibles. Il en va de même pour le caribou » (p. 68). Sans oublier cependant que « la neige est aussi en constante transformation, comme aucun autre élément ne peut l’être. Rapidement, elle devient mouillée, en sel, dure, molle, compacte, folle. Quelques degrés de différence et sa structure change. Tout mouvement soudain peut devenir laborieux, voire impossible. On doit donc en posséder un savoir profond » (pages 68 et 69).

Vollant nuance par ailleurs que : « Dans le Nord, on se déplace souvent en ski-doo, parfois dans de telles bourrasques sur un lac que la motoneige semble voler entre ciel et terre. On perd tout repères [sic]. Or, certains Anciens sont comme des hommes-boussoles. Ils connaissent si intimement ce territoire qu’ils s’y orientent les yeux fermés. Ils ont toujours été là. Ils ont appris à survivre dans cet environnement en observant les animaux et en mimant leurs comportements. Il est vrai que le ski-doo, symbole de la modernité, a transformé notre vie. Il a raccourci les distances et la durée des déplacements, mais il a aussi transformé nos sens de l’ouïe et de l’odorat. On doit constamment transporter du carburant, on fait de la mécanique. Dans un territoire si vaste, personne ne veut rester en panne ou avoir à traîner une machine si lourde » (p. 69).

Entre symbiose et mise à distance, folie de vouloir le contrôler et humilité d’en respecter la grandeur, liberté de mouvement et encabanement, luminosité sans pareil et grisaille pesante, jeu et survie, quelle chance de vivre avec cet hiver aux milles visages !

