Repères

Lu : My President Was Black : A history of the first American White House – and of what came next par Ta-Nehisi Coates publié dans le numéro de janvier/février du magazine The Atlantic, et relu : Simbabbad de batbad de Fred dans la série Philémon, publié chez Dargaud en 1974.

fred_simbabbad-de-batbad_p7
Illustration : Monsieur Barthélémy empruntant le seul vrai passage pour aller sur le « A » de l’océan Atlantique, 1974, Fred, Simbabbad de batbad, p. 7.

À l’aller, le chauffeur de taxi, visiblement venu d’ailleurs, mais qui tente maintenant de gagner honorablement sa vie ici, a la mine déconfite. À la suite de la fusillade du 29 janvier dernier dans une mosquée de Québec, les élans de solidarité envers la communauté musulmane ont quelque peu atténué son immense tristesse (et la nôtre). Toutefois, le retour depuis quelques jours de tous ces discours surexcités sur les ondes ont vite fait de l’y replonger, d’autant plus que la Commission scolaire de la Capitale est revenue sur sa décision d’interdire la diffusion des « radios d’opinion » dans ses autobus lors du transport des écoliers.

fred_simbabbad-de-batbad_p16
Illustration : Un peu de philosophie avec le contremaître des rouleurs de la mer, 1974, Fred, Simbabbad de batbad, p. 16.

Au retour, l’autre chauffeur de taxi, lui aussi visiblement venu d’ailleurs et qui tente également maintenant de gagner honorablement sa vie ici, est suspendu aux lèvres de l’animateur de l’une de ces  « radios d’opinion », alors que ce dernier rumine, s’insurge, vocifère. Selon lui, la nouvelle loi C-36 aurait transformé les prostituées en victimes, alors que, l’entend-t-on penser, ce sont plutôt les filles qui cherchent toujours le trouble et qui incitent, par définition, l’homme au vice. Puis il coupe sa collègue qui ose demander si les statistiques de la police indiquent une augmentation des arrestations du côté des clients. On ne le saura pas, mais l’animateur en rajoute presque au point de suggérer qu’une fois que le client a payé, il a tous les droits et qu’il serait odieux de le considérer comme un criminel. Au même moment, le député Sklavounos, sa femme superbement muette à ses côtés, rejoue à la perfection un épisode de The House of Cards, se posant en victime dans l’histoire d’agression sexuelle à laquelle il est mêlé.

imfred_simbabbad-de-batbad_p20
Illustration : Charmeur de mirages s’exécutant gratuitement pour Philémon, 1974, Fred, Simbabbad de batbad, p. 20.

Plus tard, l’écrivain et journaliste américain Ta-Nehisi Coates (1975- ), dont le père membre du Black Panther Party a été tué en pleine rue après avoir été faussement accusé d’être un informateur du FBI, dissèque les deux mandats d’Obama. Encore ébranlé par l’élection de Trump, il réalise soudainement que, malgré tout ce que le prédécesseur de ce dernier n’a pu accomplir, son passage à la Maison Blanche, allié à son attitude rassembleuse et à son inébranlable optimisme, revêt un caractère exceptionnel. En même temps, il semble reprocher à Obama de ne pas avoir été assez « noir » et donc de ne pas avoir pu complètement représenter les intérêts des afro-américains. Plus grave encore, sa simple présence à la tête du pays aurait préparé le terrain à l’ascension de Trump et au retour en force d’un racisme virulent.

Pas facile de trouver ses repères dans ce bourbier d’opinions, d’émotions, de retournements, d’intolérance là où on l’attend, puis tout à coup là où on ne l’attend pas, trop noir pour certains, pas assez pour d’autres.

Comme Buck 65 dans Benz, j’ai envie de scander : « Stay on your toes » and « Raise your game ».

fred_philemon_simbabbad-de-batbad_p10-2
Illustration : Félicien faisant passer Philémon vers Batbad, 1974, Fred, Simbabbad de batbad, p. 10.