Lu : Après Strand de Bertrand Carrière avec les textes brefs, mais éclairants de Franck Michel, Alexander Reford et Bernard Lamarche, publié par le Musée régional de Rimouski en 2011, et Paul-Émile Borduas, photographe. Un regard sur Percé, été 1938 par Gilles Lapointe et Raymond Montpetit publié chez Fides en 1998.

Au cours des étés 1929 et 1936, le célèbre photographe américain Paul Strand effectue deux courts séjours en Gaspésie. Sans doute frappé par la grande beauté de la région, il s’intéresse alors au « problème » de la représentation photographique du paysage, qu’il définit lui-même comme celui de « l’unité qui le compose. Dans un paysage, nous avons habituellement un avant-plan, un plan moyen, un lointain et le ciel. Tout ceci doit être lié. Évidemment, c’est très difficile à réaliser » (extrait d’une entrevue réalisée en novembre 1971, cité par F. Michel, p. 6).

Malgré la difficulté, Strand semble y parvenir, car, en 1945, la conservatrice du MOMA, Nancy Newhall écrit qu’il : « commence alors à composer avec l’ensemble des éléments du paysage, élaborant un sens exquis de l’instant où les forces en mouvement animant les nuages, les gens, les bateaux se trouvent en parfaite relation avec les formes des bâtiments et des caps surgissant dans le paysage » (citée par A. Reford, p. 12). À tel point que cette série d’images marque un tournant dans le parcours de l’artiste.

Soixante-quinze ans plus tard, en 2010, le photographe québécois Bertrand Carrière part sur les traces de Strand et se livre à un exercice de « rephotographie » libre. D’une part, il retrouve méthodiquement certains points de vue captés par son prédécesseur, ce qui permet d’apprécier toute l’évolution des paysages. D’autre part, il saisit, avec sa sensibilité caractéristique, ses propres impressions des lieux et des gens.

Entre-temps, en 1938, le peintre Paul-Émile Borduas, inspiré par un article d’un collègue paru l’année précédente au sujet de l’art populaire, se joint à une mission photographique en Gaspésie dans le cadre de l’Inventaire sur l’artisanat et le tourisme. Éreinté par l’enseignement qu’il dispense depuis peu à l’École du meuble, déçu de ne pouvoir profiter de l’été pour peindre, connu, mais pas encore célèbre ni fort de son propre langage plastique, Borduas considère, selon un de ses amis, la tâche comme une « pénitence raffinée ».

En dépit de cet état d’esprit peu favorable et du fait que la photographie ne soit pas le médium de prédilection du peintre, son regard rend bien visible « la force du paysage gaspésien, ses accidents, ses attraits, ses lignes dominantes. Il capte la géographie physique dans une géométrie, dans un jeu de lignes et de perspectives » sans tenter de « surprendre quelque chose ou quelqu’un, une technologie traditionnelle, une manière d’être ou de faire; il est plutôt attentif à l’immuable, […] aux effets de ce décor grandiose » (Lapointe et Montpetit, p. 20). Considéré comme un « facteur déclencheur [ayant poussé] le peintre à explorer de nouveaux horizons » (idem, p. 25), c’est-à-dire ceux qui feront sa renommée, il semble que Borduas ait, malgré lui, tiré bien davantage de ce voyage que ce qu’il croyait en rapporter au départ.

Quelle chance en tout cas de pouvoir comparer les images de ces trois artistes et, du même coup, de réfléchir à ce qui fait cette unité de composition que cherchait Strand, tant dans nos paysages bien concrets que dans leurs représentations.