Lu : L’effet Sophie par Marie-Hélène Proulx, publié dans le magazine Châtelaine de juillet 2016, et «What Sophie Grégoire Trudeau says about feminism and politics » par Anne Kingston, publié dans le magazine Maclean’s le 3 juin 2016.
Lorsque comparé aux nombreux portraits de la première dame offerts par les médias depuis les élections fédérales de l’automne 2015, celui brossé par Proulx est, enfin, plus complet. Par contre, le souhait exprimé en mai dernier par Sophie Grégoire, soit d’être entourée d’une équipe plus importante en vue de répondre aux demandes adressées directement par les citoyens, est à nouveau traité comme un caprice.
Comme si, contrairement au rôle de premier ministre, celui de première dame n’était pas un travail à part entière. Sans compter qu’il n’est pas rémunéré et qu’il est le plus souvent effectué par une femme, à qui l’on dit ici en plus qu’elle ne devrait compter que sur elle-même pour s’occuper de « ses » enfants malgré un horaire que l’on imagine pour le moins chargé.
Si le Canada ne peut se comparer aux États-Unis, où Michelle Obama est appuyée par une équipe de 20 personnes, il y avait pourtant là une belle occasion de demander à Sophie Grégoire quelle est la nature de ces perches tendues vers elle (pourquoi écrire à la première dame plutôt qu’à un(e) député(e) ?), ce qui la touche ou la consterne dans ces demandes, et ce qu’elle peut faire concrètement pour venir en aide à tous ces gens.

Le fait que la nouvelle première dame soit par ailleurs aussi présente sur la scène publique est considéré, par certains commentateurs interrogés par Proulx, comme un risque pour le premier ministre, comme si une femme ne pouvait fatalement que commettre des bourdes.
Quant à Kingston, elle offre comme à son habitude (voir, entre autres, The Meaning of Wife) une analyse plus approfondie et nuancée. Elle n’a cependant pu résister, à moins de s’être fait jouer un tour par le titreur, à décrire Sophie Grégoire comme étant « Stylish. Emotive. Everywhere. ». Puis, encore là, certains analystes rencontrés par la journaliste expriment la crainte que les citoyens ne perdent de vue l’essentiel lorsque politique et célébrité s’entremêlent. Comme si un chef d’état n’était pas déjà, par définition, une sorte de vedette et comme si une femme était nécessairement synonyme de distraction.
Kingston résume cependant bien le rôle déterminant joué par plusieurs premières dames aux États-Unis. Eleonore Roosevelt, par exemple, a milité en faveur d’une place plus importante pour les femmes sur le marché du travail, ainsi qu’en faveur des droits civiques et des droits des travailleurs immigrants. Elle s’est même opposée publiquement à certaines politiques de son mari.

Et voilà peut-être la plus grande crainte de bien des hommes, celle d’être contredit par une femme ou, pire, publiquement par leur propre épouse. D’où cet acharnement à nous répéter par toutes sortes de sous-entendus, même encore aujourd’hui, que les femmes sont « dangereuses », surtout lorsqu’elles se mêlent de la chose publique, et qu’elles feraient donc mieux de rester à la maison.
Dans ce contexte, il est rafraîchissant de voir des filles, qui se qualifient elles-mêmes de « brutes », prendre la parole sans avoir froid aux yeux. Même si le texte dérape par moments, même si la courte durée des capsules laisse parfois peu de place à la nuance et même si cela nous fait nous demander si dénoncer suffit, le seul fait qu’elles osent poser des questions (de la viande à la Schtroumpfette) nous fait aussi nous demander comment faire pour bousculer le statu quo. Voilà assurément le début de quelque chose.