Dériver

English version below:

Lu : Chez soi : Une odyssée de l’espace domestique par Mona Chollet et publié aux éditions La Découverte en 2016.

Au début, il y avait les avions. Alors que le Canada cherchait à acquérir des F-18, une saga presque aussi épique que celle plus récente des F-35, les Spitfires, dont l’espérance de vol n’était que d’une cinquantaine d’heures tant le risque d’être abattu était grand, et les énormes Lancasters, aussi sombres que la mission qu’ils s’en allaient accomplir, conservaient une aura plus artisanale.

Ensuite vinrent les automobiles. Celles dont j’étais assis sur le siège arrière entre les bagages, écoutant le vrombissement du moteur danser avec le passage des vitesses, surveillant le prochain virage et, au-dessus, les nuages enjambant tous les barrages.

Puis celles dont je rêvais d’être assis derrière le volant, essayant de comprendre comment autant de chevaux pouvaient entrer sous un capot (350 dans le V12 d’une Lamborghini Miura en 1966 comparativement à 74 dans le 4 cylindres d’une Rabbit en 1978).

Mais il y a toujours eu les maisons, ouvrant sur l’horizon sans être à vol d’oiseau et, surtout, plus discrètes et sans tapis de bombes roulé dans un coin du grenier. Immobiles, mais plus robustes pour affronter l’hiver, alors que le nôtre n’est pas une saison pour laisser dormir une voiture de course italienne ou même allemande à l’extérieur.

Aussi, comme le résume joyeusement Chollet : « Un dessin et une maison [ou un bâtiment] ont en commun d’être des productions manuelles, de se déployer dans un cadre circonscrit et d’exprimer une personnalité dans ce quelle a de plus singulier (p. 292) ». Il n’y a donc : « Rien de plus excitant que les dessins et les maisons. Alors que dire des dessins de maisons ? Ils [conjuguent] deux formes de magie » (p. 293).

D’ailleurs, lorsque j’ai pu casser ma tirelire pour une Renault 5 très usagée ou pour un deux et demi, j’ai choisi le deux et demi, cet espace qui, comme l’écrit Chollet, permet de se : « retrouver seul avec ses pensées » (p. 50), de : « se laisser dériver entre ses quatre murs » (p. 12).

Cette qualité pourrait sembler moins précieuse momentanément alors que, fatigués d’être plus ou moins assignés à résidence en raison de la pandémie, le printemps nous réclame encore plus haut et fort dehors. Chollet constate néanmoins qu’elle n’est désormais plus jamais seule en raison du tintamarre humain qui la turlupine sans relâche par l’entremise de son cellulaire : « J’ai dans la tête un tumulte infernal. […] Ma pensée saute du coq à l’âne; ce qui je sais est le propre de la pensée, mais pas à ce point » (p. 56).

Dans un rare élan plus étoilé, Chollet indique qu’ : « Une ville serait […] avant tout une communauté dont les membres se témoignent assez de confiance pour dormir les uns à côté des autres, et se promettent de protéger ensemble le sommeil de chacun » (p. 69).

Elle se replie cependant rapidement dans sa carapace : « On parle souvent de la maison comme d’un second vêtement : comme lui, quoique à un autre niveau, elle protège, elle dissimule, elle assure le bien-être du corps, elle […] permet une forme d’expression. Ne pas pouvoir s’extraire de la multitude, […] refermer une porte derrière soi, arpenter quelques mètres carrés où l’on est souverain, souffler, reprendre ses forces, […] se laver, préparer à manger, entreposer en lieu sûr les objets auxquels on tient [et danser dans le salon !], c’est n’avoir qu’un vêtement sur les deux qui nous sont nécessaires » (p. 69).

Illustration : Jeanne, le renard & moi, 2013, textes de Fanny Britt et dessins d’Isabelle Arsenault, source.

Appréciant autant me poser que voyager, je ne peux ainsi qu’être d’accord avec l’académicienne Chantal Thomas qui, citée par Chollet, écrit : « Le petit toit que forment les livres lorsqu’on les entrouvre, tranche tournée vers le ciel, est le plus sûr des abris » (p. 5).

Illustration : Cloth Lullaby: The Woven Life of Louise Bourgeois, 2016, textes d’Amy Novesky et dessins d’Isabelle Arsenault, source.

English version:

Drifting

Read: Chez soi: Une odyssée de l’espace domestique by Mona Chollet and published by La Découverte in 2016. 

In the beginning, there were planes. As Canada sought to acquire F-18s, a saga almost as epic as the more recent F-35 adventure, the Spitfires, with a flight expectancy of only about 50 hours so great was the risk of being shot down, and the huge Lancasters, as dark as the mission they were going on, retained a craftier aura.

Then came cars. The ones I sat in the back seat between the luggage, listening to the roar of the engine dance with the shifting of the gears, watching for the next turn and, above, the clouds spanning all the obstacles.      

Then the ones I dreamed of sitting behind the wheel, trying to figure out how so much horsepower could fit under the hood (350 in the V12 of a 1966 Lamborghini Miura compared to 74 in the 4-cylinder of a 1978 Rabbit).

But there have always been houses, opening on the horizon without flying and, above all, more discreet and without a carpet of bombs rolled up in a corner of the attic. Immobile, but more robust to face winter, while ours is not a season to let an Italian or even German racing car sleep outside.

Also, as Chollet summarizes it joyfully: « A drawing and a house [or a building] have in common to be manual productions, to be deployed in a circumscribed frame and to express a personality in what it has of more singular (p. 292) ». There is thus: « Nothing more exciting than drawings and houses. So what about drawings of houses? They [combine] two forms of magic » (loose translation, p. 293).

Moreover, when the day came that I could break my piggy bank for a very used Renault 5 or for a two-and-a-half-room apartment, I chose the apartment, this space which, as Chollet writes, allows to: « find oneself alone with one’s thoughts » (p. 50), to: « to let oneself drift between its four walls » (loose translation, p. 12).

This quality might seem less precious at the moment when, tired of being more or less under house arrest because of the pandemic, spring calls for us to be outside even more pressingly. Nevertheless, Chollet notes that she is no longer alone because of the human cacophony that torments her relentlessly through her cell phone: « I have an infernal tumult in my head. […] My thinking jumps from one thing to another; which is, I know, the nature of thinking, but not to this extent » (loose translation, p. 56).

In a rare brighter impulse, Chollet indicates that: « A city would be […] above all a community whose members show enough confidence to sleep next to each other, and promise to protect together the sleep of each other » (loose translation, p. 69).

However, this enthusiasm quickly fades: « We often speak of the house as a second garment: like the latter, though on another level, it protects, it conceals, it ensures the well-being of the body, it […] allows a form of expression. Not to be able to extricate oneself from the multitude, […] to close a door behind oneself, to survey a few square metres where one is sovereign, to breathe, to regain one’s strength, […] to wash oneself, to prepare food, to store in a safe place the objects which one holds dear [and to dance in the living room!], it is to have only one garment out of the two which are necessary to us » (loose translation, p. 69).

Illustration: Jane, the fox & me, 2013, story by Fanny Britt and illustrations by Isabelle Arsenault, source.

Enjoying settling down as much as travelling, I can only agree with academician Chantal Thomas who, quoted by Chollet, writes: « The little roof that books form when you half-open them, edge turned towards the sky, is the safest of shelters » (loose translation, p. 5).

Illustration: Cloth Lullaby: The Woven Life of Louise Bourgeois, 2016, story by Amy Novesky and illustrations by Isabelle Arsenault, source.