Vu : Mémoire en fête, un film du cinéaste Léonard Forest (1928- ) produit par l’ONF en 1964 (avec les images de Jean-Claude Labrecque (1938-2019) qui ont obtenu, en 1965, un prix Génie pour la « cinématographie en noir et blanc »); et vu : les courts-métrages Mobiliser (Caroline Monnet, 1985- ), Soeurs et frères (Kent Monkman, 1965- ), Nimmikaage / Elle danse pour son peuple (Michelle Latimer) et Etlinisigu’niet / Vidés de leur sang (Jeff Barnaby), tous produits par l’ONF en 2015.
Si conquistadors et jésuites ont envahi le « Nouveau Monde » au sud du Rio Grande, explorateurs français et missionnaires ont usé, au nord, de méthodes à peine plus subtiles pour bâtir un empire du Labrador au Mississippi en rayonnant à partir de ce qui sera plus tard considéré comme le Gibraltar de l’Amérique.

Fondé en 1663 par Monseigneur de Laval (1623-1708) pour servir de port d’attache à son « vicariat apostolique », le Séminaire de Québec, dont le film de Forest souligne le tricentenaire, constitue ainsi : « cette continuelle école de vertu et un lieu de réserve d’où [l’Église tire] des sujets pieux et capables pour les envoyer à toute rencontre ».

Forest rappelle par ailleurs que, peu après, Monseigneur de Laval fonde sur les terres du Séminaire à Saint-Joachim une école des arts et métiers. Au cours des cinquante années qui suivront, les artisans formés à celle-ci érigent pas moins de trente églises et, du même coup, ce qui deviendra au début du 20e siècle un des symboles d’une vision ultramontaine de la « survivance du Canada français ».

Si, aujourd’hui, la religion a perdu de son emprise, ne sommes-nous pas moins les descendants de « voleurs de continent » ? En même temps et sans pour autant baisser les bras, jusqu’où sommes-nous responsables de la société dont nous avons hérité et comment changer le cours des événements alors que la marge de manœuvre semble si limitée ? D’après la narration de Mémoire en fête : « […] une certaine façon d’habiter l’histoire n’est qu’une façon de se bien habiter soi-même, car ne sommes-nous jamais autre chose qu’un passé qu’il faut sans cesse reconstruire à la mesure de notre avenir ? »

Et s’il était possible de mieux s’habiter nous-mêmes ?

Devant le gaspillage de talent et de connaissance qui prévaut depuis plus de quatre siècles, vertement dénoncé par Monnet, Monkman, Latimer et Barnaby, assumer la part d’ombre d’un tel passé (et du présent) ne va pas de soi. Face à des blessures aussi profondes (lire le texte de Sol Sanderson dans le catalogue de l’installation Non cédées : terres en récit, présentée à la biennale d’architecture de Venise en 2018), la tentation est effectivement forte de se défiler sous le couvert conceptuel d’une « reconstruction perpétuelle », d’autant plus que Québec est certainement devenue l’une des plus belles villes du monde.

À l’inverse, la contrition et l’autoflagellation ne semblent pas les meilleurs moyens de voir la souffrance de l’autre en pleine lumière. Il serait donc vain de déboulonner les bronzes ornant la façade de l’hôtel du Parlement (dont Guyart, Bourgeoys, Brébeuf, Viel, Olier, Marquette… et Laval) même si l’édifice représente, sous un certain angle, une ode au colonialisme (en partie atténuée par la présence à l’entrée principale de La halte dans la forêt et du Pêcheur à la nigogue). En fait, les statues de ces fondateurs/fondatrices sont utiles pour nous rappeler les bulles pontificales en vogue à l’époque de nos origines. Pour nous rappeler que les choses auraient pu se passer autrement et, surtout, qu’il serait tout à fait possible, avec un peu d’imagination et malgré les difficultés, de mieux vivre avec les Autochtones et ce paysage si généreux, mais si fragile que nous cohabitons avec eux.
