Lu : « When China Sees All » par Ross Andersen publié dans The Atlantic (septembre 2020); « L’homme invisible / The Invisible Man » et « L’effet de la pluie poussée par le vent sur les bâtiments », tous deux par le poète franco-ontarien Patrice Desbiens et publiés respectivement chez Prise de Parole / Penumbra Press en 1981 et chez Lanctôt en 1999; et entendu : l’entrevue menée par Chris Hall avec la philosophe Susan Neiman, diffusée dans le cadre de l’émission The House sur les ondes de CBC le 5 septembre 2020.
Pendant que la Chine étend ses filets et engrange des milliards de données au sujet de son milliard de « sujets », laissant aux algorithmes le soin de décider qui dévierait du sentier, et pendant que les uns se replient dans le déni et que les autres feraient sauter tous les monuments dédiés aux « grands » hommes d’autrefois, Patrice Desbiens, atteint de « Delirium Timmins », se cherche « comme une mouche dans une fenêtre […] Looking for a country like someone fumbling for a light switch in the dark » (L’homme invisible / The Invisible Man, pages 17, 27 et 39).
Difficile de se convaincre que : « [….] la télévision s’en raconte des bonnes, toute seule dans le salon ». On serait plutôt tentés de penser que : « The day comes [or is about to come] down like a broken curtain » et que : « La tristesse [pourrait] se loue[r] une chambre sans fenêtres dans [nos] coeur[s] » (L’homme invisible / The Invisible Man, pages 2 et 13).

Dans l’océan de contradictions où nous nageons, comment dans une même chose, un même pays, une même personne, reconnaître les bons coups, avec mesure et lucidité, tout en discernant, tout aussi justement et lucidement, le malaise ou l’inacceptable ?

Réfléchissant à la façon de composer avec l’héritage controversé de John A. Macdonald, notre premier « premier », Susan Neiman donne l’exemple de l’approche privilégiée à Monticello dans le cas de Thomas Jefferson, un des « founding fathers ». Elle suggère ainsi de :
« […] contextualize to say these are the man’s virtues, these are the things that he did well. These are the things that we, today, deplore. We deplore the racism, we deplore the attempt at cultural genocide. Again, this is the sort of thing where you could simply put up a plaque which I don’t think is very interesting, and I also don’t think it would do what opponents of the monuments to Macdonald would really like, which is something striking. I would be in favour of getting contemporary artists, definitely making sure that you had a wide range of contemporary artists including those from native communities, to think creatively about what you can do with those statues. Ideally, each of these monuments should be an occasion both for communities to learn about their history, and to think about the question: « What values do we want to represent in the 21st century? » »

Puis, rappelant comment les Allemands ont dû tenter de se réconcilier avec un passé trouble, elle précise :
« […] they realized they had to face off, and really face off, the fact that their parents and grandparents, whom they had loved and honoured, had committed crimes. The process that they went through, and in many ways are still going through, is a multilayered process. It involves education, in some cases restitution and reparation, in some cases legal proceedings, and perhaps most importantly, it involves a cultural renegotiation of […] what kinds of art and memorials do we have in our cities, what kinds of popular movies do we make, what kinds of songs do we teach our children. It has to be a multilayered process. And it’s probably not going to be done in one generation or even two. […] but the generations that deal with these issues come out better and stronger. »

Dans sa quête, Desbiens semble : « Slowly going crazy like the lightbulb on the ceiling » (L’homme invisible / The Invisible Man, p. 27). Cependant, rien n’explique, pas même les ténèbres de la mine d’or de sa ville natale, l’oubli de ses concitoyens autochtones ou polonais. Absolument rien ne justifie non plus son rapport aussi cru à Pauline, Katerine ou Cleopatra (à mes yeux ici et maintenant en tout cas).
Il s’accroche néanmoins : « looking […] like someone keeping his eyes open for a last chance gas station » (pages 42 et 27). Et c’est alors que, dans un sursaut, l’étincelle se produit :
« Chaque goutte de pluie est un pendentif, une amulette qui contient le visage [de la femme dont le poète est amoureux]. Les bâtiments ruissellent et recèlent la lumière du ciel et la lumière de son visage. Comme ça, tous les bâtiments sont beaux sous la pluie. » (L’effet de la pluie poussée par le vent sur les bâtiments, p. 9)
