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Lu : Why Are We So Angry? The Untold Story of How We All Got So Mad At One Another, un article de Charles Duhigg publié dans The Atlantic (janvier/février 2019); commencé à lire : Les filles en série : Des Barbies aux Pussy Riot de Martine Delvaux publié aux Éditions du remue-ménage en 2018; et lu : Le peuple conscient, un article de Nicolas Langelier publié dans le no 14 de Nouveau Projet (automne-hiver 2018).

Duhigg rappele que : « America has always been an angry nation. We are a country born of revolution. Combat—on battlefields, in newspapers, at the ballot box—has been with us from the start. American history is punctuated by episodes in which aggrieved parties have settled their differences not through conversation, but with guns. […] Even the country’s mythology is rooted in anger: The American dream is, in a sense, an optimistic reframing of the discontent felt by people unwilling to accept the circumstances life has handed them. » (p. 64)

Photo : sans titre et sans date, William Eggleston, source.

Si : « At the heart of our discontent is a very real sense that our government systems are broken » (p. 75), les politiciens ayant délaissé leur rôle de législateurs au profit d’une campagne électorale permanente, il reconnaît cependant que la situation actuelle dépasse les bornes : « The things the [current U.S.] president says at his rallies are so extreme that they are essentially absurdist provocations. […] The vitriol on display each night on cable news—and even on late-night comedy shows—is over the top. » (p. 75) Et l’objectif semble précisément : « […] to keep viewers tuned in, which means keeping them angry all the time. No reconciliation, no catharsis, no compromise. » (p. 71)

Photo : sans titre et sans date, Fabiola Ferrero, source.

Citant Toni Morisson, Delvaux explique pour sa part que ce serait une « peur bleue plutôt qu’une colère noire » qui se lirait « sur les millions de visages blancs des électeurs de Trump », « la peur de perdre ce qui leur reste (encore) de blancheur », « tout le confort et les avantages qui en découlent. » (p. 12)

Photo : sans titre et sans date, William Eggleston, source.

Cette peur de l’Autre aurait-elle gagné un Québec qui se croit multiculturel avec une population composée d’à peine 10% d’immigrants (moins de la moitié du nombre retrouvé dans plusieurs autres provinces au pays) ?

À la veille des élections provinciales de l’automne dernier, Langelier tente de cerner l’état d’esprit de ses concitoyens, de comprendre la colère qui s’immisce de plus en plus sur les ondes et sur la route, et de s’expliquer notre étalement galopant dans un paysage qui mérite mieux. Il cite ainsi l’évêque Napoléon-Alexandre Labrie qui, en 1948, compare le Québec à la Suède :

« Là-bas on a un peuple qui reconnaît la forêt comme sa nourricière. Il sait que la nature du sol ne lui permet pas d’autres cultures ni industries; il conserve et améliore ce que la Providence lui a donnée. Ici nous avons un peuple d’exploiteurs qui viennent arracher à la forêt en la martyrisant et qui maudissent en partant le sol qui l’a fait pousser. » (p. 52)

Photo : Piles de bois d’oeuvre, Ottawa, Ontario, 1872, William Notman, source.

Peut-être l’exploiteur d’ici sait-il, soixante-dix ans plus tard, que la Providence ne lui a rien donné, qu’il squatte un territoire jamais cédé par les autochtones, et qu’il vit donc sur du temps emprunté.

Photo : U.S. 22, Union, New Jersey, April 24, 1974, Stephen Shore, source.

En attendant, et inspirés par les « gilets jaunes » français, des protestataires pro-oléoducs, anti taxe carbone et anti-immigration ont quitté en convoi Red Deer, le jour de la Saint-Valentin, en direction d’Ottawa. Nous sommes loin de la Marche du pain et des roses initiée par la Fédération des femmes du Québec en 1995 ou de la Women’s March de janvier 2017 à Washington. Souhaitons que les milliers de kilomètres qu’ils avaleront aident à mettre les choses en perspective, à retrouver un peu d’optimisme, l’envie de construire un vivre ensemble plus serein, loin des camps retranchés.

Illustration : Le dernier bloc de neige, 1970, Agnes Nanogak Goose, MBAM.