Vouloir

Lu : l’article Late Bloomer par la célébrissime Garance Doré. Vu : la montée de lait de la comédienne Geneviève Brouillette.

Si une fille ne devient pas mère, par choix ou en raison des circonstances, la pression sociale veut qu’elle soit en train de renier une partie de sa féminité. La même règle s’applique aux gars, mais, au moins, les filles peuvent (un peu) vivre leur deuil. La peine des gars, elle, reste taboue.

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Photo : Wonderland of Rocks, 1937, Edward Weston, tirée de : Edward Weston 1886-1958
édité par Manfred Heiting et publié chez Taschen en 1999, p. 193.

Ce qui est dur, ce n’est pas de croiser une fille au zénith de sa grossesse, la chevelure et le regard resplendissants, ou encore de prendre ma nièce dans mes bras. D’une part, je ne peux qu’être émerveillé devant tant de magie et, d’autre part, content d’avoir trouvé quelqu’une qui saura se construire un univers avec mes livres et mes quatre caisses de blocs LEGO.

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Photo : Aqueduct Los Remedios, 1924, Edward Weston, idem, p. 69.

Non, ce qui est dur, c’est de voir un parent crier après son enfant à l’épicerie, ou pire, le menacer ou le prendre pour un imbécile. C’est apprendre que l’amie d’un ami, qui a déjà deux enfants, en attend un troisième qu’elle gardera même si elle aurait préféré en rester là. Même si je comprends, je ne peux m’empêcher de me mettre à la place de cet enfant, de ressentir l’ambivalence (un sentiment particulièrement inconfortable et qui laisse des traces), et de trouver la vie bien injuste.

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Photo : Dunes, Oceano, 1936, Edward Weston, idem, p. 150.

Non, le plus dur, c’est de se faire dire que si la clinique de fertilité ou l’adoption ne vous apparaissent pas comme des évidences, c’est parce qu’en fait vous ne voulez pas assez avoir un enfant. Impossible alors de parler des amies qui ont joué à la roulette et qui, au fil de multiples tentatives, ont perdu jusqu’à une partie d’elles-mêmes. Impossible de réfléchir au fait qu’adopter, c’est magnifique, mais que ce n’est pas tout à fait la même chose, et que ça peut prendre neuf ans au lieu de neuf mois. La discussion est close avant même d’avoir commencé, car la médecine est toute puissante et, en piochant assez longtemps, le barrage va nécessairement sauter.

Puis arrive ce jour où un mal inconnu devient trop envahissant et la fille que tu aimes doit se faire enlever, littéralement, tout espoir d’avoir un enfant. Après avoir rangé ses affaires dans un casier, elle se tient debout dans le courant d’air vêtue de sa petite jaquette bleue. Tu sens bien qu’il y a quelque chose qui cloche, mais tu ne peux que la serrer dans tes bras, caresser sa tête. Et elle passe effectivement à un cheveu de rester sur la table d’opération. Une intervention qui devait prendre une heure en dure quatre, autant dire une éternité pendant laquelle on te laisse dans le noir.

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Photo : Badwater, Death Valley, 1938, Edward Weston, idem, p. 223.

Ne pas vouloir assez… Il faut vouloir infiniment pour atterrir sur une piste invisible, dans la tempête et sans moteur. Il faut vouloir infiniment revoir le rayon de soleil de ce sourire.

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Photo : Succulent, 1932, Edward Weston, idem, p. 139.