Empire

Lu : L’Orient rêvé: photographies du Maroc 1870-1950 par Éric Milet publié chez Arthaud en 2008.

Que l’entreprise se fasse sous couvert d’évangélisation, de « pacification » ou de quelque autre doctrine, le saint-simonisme dans le cas du Maroc, l’Homme ne semble jamais à court d’imagination lorsqu’il s’agit de justifier le pillage du voisin ou l’enlèvement de ses filles. Aussi est-il troublant, au fil des images rassemblées par Millet, de voir le « père protecteur » siroter paisiblement le thé, alors que la carte dépliée devant lui sert possiblement à planifier quelque manœuvre de contre-insurrection.

Gabriel Veyre_Les généraux Lyautey et d'Amade, 1907_p25
Photo : Les généraux Lyautey et d’Amade, 1907, Gabriel Veyre, p. 25.

Il est également troublant d’admirer les décors et les visages des « indigènes » qui y vivent sans partager la fascination du colonisateur devant tant de beauté et de mystère.

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Photo : Photo aérienne de l’Atlas, 1930, anonyme, p. 202.
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  Photo : Rabat, kasbah des Oudayas, 1917, anonyme, p. 129.
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  Photo : Femme de Tarhjicht en parure de fête, oasis du Bani, extrême Sud occidental , sans date, anonyme, p. 165.

En même temps, il est impossible de ne pas éprouver un profond malaise tant le regard posé par l’envahisseur met à distance, souligne les différences, place en décalage des traditions dont il ne maîtrise pas les codes. Sournoisement, l’« étranger » se trouve peu à peu dépeint en « barbare ».

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Photo : Marchands d’étoffes à Fès, vers 1920, anonyme, p. 134.

À la fois ébloui et clairvoyant, intrigué et impérialement condescendant, Milet suit le même parcours contradictoire que celui des photographes découvrant le Maroc, trébuchant sur ses fantasmes et ses préjugés.

En écrivant que la soif de conquête des puissances coloniales cache les « manques d’une société occidentale qui ne s’aime pas », il met peut-être le doigt sur quelque chose. Un tel détour, comme ceux autrefois empruntés par le saint-simonisme, demeure cependant tarabiscoté et peu convaincant.