Vu : « Observation is a constant that underlies all approaches », une exposition de photos de Phyllis Lambert (1927- ) présentée à la galerie Pierre-François Ouellette art contemporain du 16 avril au 20 mai 2023, et lu : « The Image of The Architect » par Andrew Saint, publié en 1983.
Alors que la Commission des lieux et monuments historiques du Canada s’apprête à « revisiter » le texte de deux cents de ses plaques commémoratives à travers le pays et donc à réécrire l’histoire, littéralement, on ne peut que saluer cette ouverture à plus de nuances en même temps que de se demander si les recoins sombres de notre passé ne seront pas qu’enjolivés au moyen d’un filtre différent, pas nécessairement pire, mais pas nécessairement mieux non plus.
Dans une galaxie voisine, l’Ordre des architectes du Québec lançait récemment une campagne publicitaire intitulée : « Les architectes revisitent nos espaces de vie ». On ne peut que saluer là aussi cet effort pour mettre de l’avant la profession en même temps que de se demander si, tant que cette dernière cultivera les « starchitects », il y aura de la place pour d’autres sortes d’architectes (et pour d’autres architectures).


Photos : Robert Smith, Jr., Armco-Ferro House, 1933 Century of Progress International Exhibition, Chicago, moved to Beverly Shores, Indiana, 2003, et Daniel Libeskin, Jewish Museum under construction, Berlin, Germany, 1997, Phyllis Lambert.
Alors que les images de Phyllis Lambert font passer joyeusement d’un pays et d’une décennie à l’autre, on en vient à se demander, dans la foulée de cette remise en question générale, ce qui serait arrivé si notre « Jeanne d’Architecture » avait été un homme. Peut-être aurait-elle fait mordre la poussière à Mies, Eisenman, Koolhaas et autres chantres, tous masculins, de l’architecture avec un grand « A » ?


Photos : Les Halles. Paris, France, circa 1967, et Friedrichstrasse Railway Station, Berlin, Germany, 2007, Phyllis Lambert.
Sur d’autre papier glacé, Saint cerne quant à lui habilement les contours de la profession et ses travers apparemment incorrigibles tant ils se ressemblent d’une époque à l’autre. Difficile en effet de ne pas établir de parallèles avec les constats accablants de l’enquête conduite en 2022 au sujet de la culture toxique qui prévaut à la Bartlett School of Architecture, institution qui continue néanmoins de caracoler en tête du palmarès mondial.


Photos : Myron Goldsmith, 260 East Chestnut, seen from Mies van der Rohe’s 860 Lake Shore Drive, Chicago, Illinois, 1971, et Geodesic Dome, Haida Gwaii, British Columbia, 2015, Phyllis Lambert.
Saint rappelle par ailleurs que (je surligne) : « […] while Gropius was placating suspicious citizens and politicians by assuring them that the aims of the new school’s [the Bauhaus] crafts courses were modest and practical, he was also urging his first students to undertake utopian design projects and declaring that conception, not execution, was paramount » (p. 120).
En hissant l’idée de la beauté (mais laquelle au juste ?) au-dessus de tout, cette injonction continue aujourd’hui de tenir les architectes à distance de la formidable palette d’ingrédients qui entrent depuis toujours dans la conception, la construction et l’entretien des bâtiments. Ou, comme le résume Saint, du moment où : « such goal as ‘sound building’ can be raised […] above the game of styles, novelty and appearance, and paper projects » (p. 166).
Et si c’était précisément cette infinie richesse que Phyllis Lambert nous invitait à scruter et à saisir ? Une approche pas meilleure ou moins bien que celle de Mies ou Gropius, seulement d’une profondeur tellement plus vaste.


Photos : Antigua, Guatemala, 1968, et Jantar Mantar Observatory, New Delhi, India, 1999, Phyllis Lambert.